Pourquoi on en parle ?

Instaurée en 1982 sous l’impulsion de Djacques Langue, la Fête de la Musique n’est pas, en soi, un événement qui déborde des frontières de son petit patelin. Mais depuis que le Ministère a repris les rennes du concept, la France entière se retrouve chaque année inondée d’un seul visuel généraliste, qu’on l’aime ou qu’on le déteste.

Et puisque le phénomène coïncide avec la Fête du Graphisme et son concours d’affiches moisies, la France qui se lève tôt pour dessiner à décidé d’en découdre et de commenter.

 

 

Qui sont les responsables cette année ?

Le visuel est signé Benoit Santiard et Guillaume Grall, fondateurs du studio de design graphique Building Paris. On ne se risquera pas à juger leur travail, car en tant que professionnels, mes confrères confirmeront qu’on peut être doué, avoir des moyens, trouver des idées, il n’en reste pas moins possible de sortir un résultat très moyen.

Quand on visite Building Paris, on est pourtant frappé par le manque de design, de graphisme, et de vie du site. En date du 19 juin, à la veille de l’événement, le studio s’affiche sans se présenter. Pas de folio, pas de détail sur l’équipe, rien. Ca ressemble malheureusement à l’orgueil de ceux qui pensent qu’ils sont tellement doués qu’il est inutile de le prouver. Une petite recherche plus ciblée sur chacun des protagonistes vous éclairera cependant sur leur talent, qu’on ne remet pas en cause.

 

 

Qu’ont-ils ont voulu dire avec ce visuel ?

D’après eux, l’affiche est d’abord « un clin d’œil visuel historique de la fête de la musique de 1982 ». Heu…. pardon ? d’un poster bleu électrique mentionnant en très gros mots « Fête de la Musique », on passe à une affiche rouge qui présente des lettres des lettres et des mots presqu’en vrac tandis que le visuel de base se contentait du minimum. Alors, le minimum, c’est peut-être là qu’est le clin d’œil. Mais en 2015, Benoit et Guillaume devraient savoir que le terme « clin d’oeil » veut souvent dire « panne d’inspiration ».

un clin d’œil visuel historique de la fête de la musique de 1982

Le Studio Building continue, dès sa première phrase d’explication, par préciser que « l’affiche de l’édition 2015 fait la part belle aux mots autour d’une démarche qui mêle habilement graphisme et sémantique ». LOL. On se croirait dans « 99 francs » ou un sketch des Inconnus.

Le début de bonne idée réside peut-être dans le HASHTAG-DIÈSE. Parfait symbole qui fait se rejoindre à mi-chemin l’univers de la musique et des réseaux sociaux. Telle est la vision des créateurs. Malheureusement, Twitter n’est pas tous les réseaux sociaux, et si les seniors qui aiment la musique se baladent parfois sur Facebook, on ne les voit pas beaucoup faire cui-cui.

 

 

Le point de vue du DA

Je ne suis pas complètement contre l’idée du graphisme mêlé à la sémantique. Les lettres qui « entrent en résonance » (on dirait du Jean Claude Ameisen) font en effet la passerelle entre l’image et le son. C’est sans doute l’aspect le plus réussi de la composition.

Mais le concept est complètement enterré dès lors que Building tente de le justifier : « les deux créateurs ont fait le choix de mettre en avant la manifestation par les mots qui la composent, des mots forts de sens et marqueurs de ce moment unique ». Heu… vous le lisez là le bullshit ?

D’abord l’affiche nous montre surtout des grosses lettres en mode NIFNAF (ni fait ni à faire) un caractère très prononcé sur le « D » dont la panse présente des rondeurs et des obliques tandis que les autres lettres sont désespérément plates et droites. Pas de mot mis en avant ici.

Ensuite, ils semblent oublier qu’une affiche est avant tout un vecteur de communication contextuel. Ce n’est pas une carte de visite, ce n’est pas un site web. On peut et on doit la voir de loin, la comprendre, tout du moins en percevoir les informations principales. Nul doute qu’avec cette mouture, l’automobiliste qui passe à 50km/h dans le bourg ne comprend pas de quoi on parle.

Enfin, notons qu’il y a deux façons d’envisager une affiche pour ce type d’événement : la commande et la carte blanche. La première donne lieu à un cahier des charges, une demande, une attente. La seconde laisse libre court à l’imagination de l’artiste pour nous émouvoir, nous transporter. Dans notre cas, la Fête de la Musique et sa communication tombent sous la responsabilité du Ministère de la Culture et donc, pour cette 34ème édition, de Madame Fleur Pellerin. Ecoutons-là :

Cette année, plus que toutes les autres, cette fête doit être celle de tous. La musique incarne cette résistance joyeuse à tout ce qui pourrait nous éloigner les uns des autres. J’ai voulu qu’elle soit à l’image de cette formidable capacité qu’à la culture de rassembler au-delà des différences, de tisser des liens, de permettre la rencontre et l’échange, de susciter l’émotion.

Ca ressemble à un cahier des charges.

On pourrait discuter longtemps du caractère universel du visuel présenté. Mais c’est un peu facile de cacher un manque de substance derrière le voile du minimalisme et du symbole. Et ce qui est certain, c’est que l’explication du process par la team Building est complètement à côté de la demande. Si on s’en tient à leur vision digitale de l’événement, on va tous se retrouver à partager la Fête de la Musique derrière nos écrans d’iPods et d’ordinateurs, chacun chez soi.

Vous l’aurez compris, sinon je le précise, ce n’est pas le résultat que je juge, mais l’écrin de Direction Artistique dans lequel il est emballé. Avec son lot de blabla qui décrédibilise notre métier.

 

 

Peut-on réussir une affiche pour la Fête de la Musique ?

On ne peut pas plaire à tout le monde. Un point pour Griffondor. Mais notre métier consiste à passer un message. Pas un message crypté pour Alan Turing, pas un message subliminal pour les électeurs Paraguayens, un message clair.

Peut-on réussir une affiche pour la FDLM ? oui. Peut-on la réussir pour le Ministère et les Français ? rien n’est moins sûr.